Une classe verticale

Comment tolérer de regrouper des enfants qui parlent à peine pour leur apprendre à parler ?
Ce regroupement des tout petits entraîne davantage à la soumission, à la résignation, voire à l’ennui, qu’à l’éveil à un monde différent parce que l’adulte est le plus souvent débordé. Leur place est à la maison ou à la crèche et c’est là qu’il faut résoudre le problème, certes difficile (le travail des femmes, la rareté et le coût des infrastructures…) et non le déplacer à l’école maternelle. Pitié donc pour les enfants de 2 ans et demi à 3 ans et les maîtresses !
Quant aux enfants de 3 ans il tombe sous le sens que les regrouper de manière homogène dans une même section, c’est accumuler les difficultés, c’est risquer de développer la dépendance à l’adulte.
Cette hétéronomie freine l’autonomie car l’enfant s’habitue à attendre les consignes pour agir. Sa créativité se met en veilleuse, sa débrouillardise s’estompe. Il pilote alors ses actions sur les désirs identifiés de l’adulte…ou bien il s’oppose.
L’exemple de l’hétérogénéité des groupes vient du peuple, de tous les peuples de la terre : il est plus facile, partout, d’élever cinq enfants dont les naissances sont espacées que des quintuplés. Ce que je ne comprends pas, c’est que l’on charge une institutrice de 15, 20, 25, petits de 3 ans au lieu de constituer en maternelle, des classes qui comptent un tiers de petits, un tiers de moyens et un tiers de grands.
Si ces classes « verticales » sont centrées sur le jeu et l’expression par les arts, les grands entraînent les petits… qui, d’année en année, deviendront moyens puis grands, construisant ainsi une véritable maturité d’aînés habiles à tout faire : bricolage au coin menuiserie, théâtre guignol, en passant par la peinture, l’eau et le sable, l’espace musique et danse, les jeux symboliques du faire semblant. Ici, l’enseignante sera bien utile pour organiser l’activité incessante des enfants, rassurer les plus jeunes, aider à choisir donc à anticiper, développer la sociabilité, initier aux jeux coopératifs, au graphisme, à l’art, interroger le langage écrit, apprendre des chansons, cultiver la douceur de se détendre sans aucun stress, donner la place au corps, dégager les premiers concepts mathématiques nés dans le jeu, susciter l’entraide comme en famille : « Qui peut venir aider ici… ? »
La pression de beaucoup d’instituteurs primaires, de parents, d’inspecteurs pour faire de l’école maternelle non pas un jardin d’enfance mais une section préparant directement à l’école primaire.

Poussée donc dans ce sens, ou croyant elle-même faire le bien des enfants,
l’institutrice des grands verse vite dans les apprentissages formels de la lecture, de l’écriture et du calcul, creusant ainsi déjà des écarts entre des enfants devenus trop tôt des écoliers. En général, elle aborde les chiffres trop tôt, elle empêche même la vraie lecture en centrant l’apprentissage sur le ba,be,bi,bo,bu…
Dans la conception intellectualisante prématurée, la titulaire réclame une classe nécessairement homogène, rien que des enfants - écoliers de cinq ans afin de développer des trucs dont on lui a farci la tête.
Là, évidemment, les petits sont des gêneurs, eux qui aiment traîner des objets, en empiler, les faire crouler, vider les tiroirs, jouer avec une boîte en carton, pousser des cris, circuler librement…
Pour admettre et ensuite voir le bénéfice extraordinaire des groupements naturels verticaux avec donc des petits, des moyens, des grands, il faut recentrer l’école des bambins sur son lait maternel, le jeu.
Dans le jeu, ce facteur de croissance universel inscrit comme un besoin fondamental, durant une période décisive de la vie, se trouvent réunis tous les éléments favorables au développement intellectuel, affectif et social. Comme dans le lait de la mère, la nature a mis tout ce qu’il fallait dans le jeu.
Le jeu, exceptionnelle possibilité d’expressions culturelles différentes, ainsi que l’expression artistique et l’ouverture au monde, prennent toute leur dimension éducative quand s’y rencontrent pendant trois merveilleuses années des enfants différents dans une grande famille multi-âges où les petits imitent les aînés, toujours pleins d’idées, loin de l’ennui.
Là, l’institutrice, qui donne du souffle, ne sera jamais assez qualifiée pour enrichir sans cesse un milieu extrêmement stimulant et chaleureux… ne laissant pas seulement jouer les enfants mais faisant tout pour qu’ils jouent le mieux possible.
Ainsi, peu à peu, avec un grand art et une connaissance fine de la psychologie et des besoins des enfants, l’éducatrice fabriquera un terreau où elle fera naître les premiers classements et dénombrements, le langage élaboré, l’ usage des symboles, le goût des arts, l’aisance corporelle, en solidarité créative.

Extraits de "Pour des classes multi-âges à l’école maternelle" de Charles Pepinster (Groupe Belge d’Education Nouvelle)